dimanche 19 janvier 2014

 
Saul Steinberg


homme approximatif comme moi comme toi lecteur et
comme les autres
amas de chairs bruyantes et d'échos de conscience
complet dans le seul morceau de volonté de ton nom
transportable et assimilable poli par les dociles
inflexions des femmes
divers incompris selon la volupté des courants interrogateurs
homme approximatif te mouvant dans les à-peu-près
du destin
avec un cœur comme valise et une valse en guise de
tête
buée sur la froide glace tu t'empêches toi-même de te
voir
grand et insignifiant parmi les bijoux de verglas du
paysage
cependant les hommes chantent en rond sous les ponts
du froid la bouche bleue contractée plus loin que le
rien
homme approximatif ou magnifique ou misérable
dans le brouillard des chastes âges
habitation à bon marché les yeux ambassadeurs de feu
que chacun interroge et soigne dans la fourrure de
caresses de ses idées
yeux qui rajeunissent les violences des dieux souples
bondissant aux déclenchements des ressorts dentaires
du rire
homme approximatif comme moi comme toi lecteur
tu tiens entre tes mains comme pour jeter une boule
chiffre lumineux ta tête pleine 
de poésie 
 
Tristan Tzara

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