vendredi 31 janvier 2014


rue Saint-Honoré, Paris



écrire s’écrire t'écrire nous écrire je m’écris nous 
nous écrivons comme nous nous avançons 
comme nous avançons pas à pas petits pas 
entrechats de 3 à 8 jusqu'à 10 fermer les yeux ouvrir les yeux 
un autre ciel nous avons commencer un puis 
deux écrire s’écrire t'écrire nous écrire 
je m’écrie nous nous écrivons comme 
nous nous avançons 
un léger déboité je t'écris sur un pied pour arriver 
sur deux nous 
aimer en nous écrivant j’écris avec mes doigts 
avec ma bouche avec en pied mon cœur 
avec mes mains et mes deux yeux
partir de la cinquième position ou de la troisième 
effectuer un dégagé  
en avant de côté ou en arrière 
peu importe et puis sauter 
partis d'un pied pour arriver sur deux 
pour traverser le pont c'est plus 
commode affirmer sans répéter 
recommencer  sortir de la réserve explorer les plaines
retrouver le ciel et ses couleurs nous avancer 
sans trop partir de la troisième ou 
de la cinquième position peu importe 
juste le saut pour que nos deux jambes se rejoignent
à la verticale avec le rose 
aux joues au bord 
des yeux nos lèvres


Katrine Dupérou 

mardi 28 janvier 2014


Picasso, in Corps perdu d'Aimé Césaire, 1950



Je ne connais rien au monde

qui ait autant de pouvoir qu'un

mot. Parfois j'en écris un, et je

le regarde, jusqu'à ce qu'il 

commence à resplendir.


Emily Dickinson

dimanche 19 janvier 2014

 
Saul Steinberg


homme approximatif comme moi comme toi lecteur et
comme les autres
amas de chairs bruyantes et d'échos de conscience
complet dans le seul morceau de volonté de ton nom
transportable et assimilable poli par les dociles
inflexions des femmes
divers incompris selon la volupté des courants interrogateurs
homme approximatif te mouvant dans les à-peu-près
du destin
avec un cœur comme valise et une valse en guise de
tête
buée sur la froide glace tu t'empêches toi-même de te
voir
grand et insignifiant parmi les bijoux de verglas du
paysage
cependant les hommes chantent en rond sous les ponts
du froid la bouche bleue contractée plus loin que le
rien
homme approximatif ou magnifique ou misérable
dans le brouillard des chastes âges
habitation à bon marché les yeux ambassadeurs de feu
que chacun interroge et soigne dans la fourrure de
caresses de ses idées
yeux qui rajeunissent les violences des dieux souples
bondissant aux déclenchements des ressorts dentaires
du rire
homme approximatif comme moi comme toi lecteur
tu tiens entre tes mains comme pour jeter une boule
chiffre lumineux ta tête pleine 
de poésie 
 
Tristan Tzara

lundi 13 janvier 2014

Arbre, Tourcoing




 Le regarder pousser le vivant devant et derrière
crever l'écran ouvrir le sens et le regarder s'ouvrir
les yeux les mains les lèvres la bouche la langue
les dents la peau le regarder pousser du pied
la porte l'ouvrir dire encore et le jour et la nuit

La voir venir la main qui s'avance et touche et douce 
et souple devant et dense et claire dedans et noire 
et blanche avec ses fleurs et polychrome ses douceurs 
plein les doigts ses histoires ses mers et ses rivages
 viennent en tous sens et vont et sur la peau et les os

Le regarder courir se remettre à marcher droit devant 
derrière à côté de guingois toujours prêt à filer à l'anglaise 
entre les idées mal conçues les envoyer siffler là-haut
sur la colline et loin le regarder encore et toujours au plus près
et le coller à même la peau et les eaux l'inventer


Katrine Dupérou

mercredi 8 janvier 2014


 
Notre-Dame-de-la-treille, Lille



 Ils sont épatants, eux, chacun
Se joignant à un voisin comme si parler
  Était une représentation silencieuse.
S'arrangeant par hasard

Pour se rencontrer ce matin aussi loin
Du monde que nous sommes en accord
Avec lui, toi et moi
Nous sommes soudain ce que les arbres essayent

De nous dire ce que nous sommes
Qu'il leur suffit d'être là
Pour signifier quelque chose ; que bientôt
Nous pourrons toucher, aimer, expliquer.

Et contents de n'avoir pas inventé
Tant de grâce, nous sommes cernés
Un silence déjà rempli de bruits,
Une toile sur quoi émerge

Un chœur de sourires, un matin d'hiver.
Placés dans une déroutante lumière, et mobiles,
Nos jours revêtent une telle réserve
Que ces accents paraissent se défendre d'eux-mêmes.


John Ashbery, Quelques arbres, in Quelqu'un que vous avez déjà vu, P.O.L

lundi 6 janvier 2014

Donibane Lohitzun





Haute résolution 

Je nous souhaite de faire trace 

Légère et déterminée tracer la route lignes de vie 

Courbes et fonction haute résolution traces 

Rafraîchies Je nous souhaite les couleurs 

 

 Lavées à la lumière du jour 

Haute résolution toucher au plus près 

Paysages lucides et grands je nous souhaite

 Des kilomètres de vie sable mémorial 

Rose poussière d'anis étoilé mordant à la lisère

 

 Je nous souhaite les étreintes soyeuses les fleurs 

Embrasser haute résolution les regards confiants

Les transgressions heureuses  dénouant fil à fil les 

Antiennes Une à une chacune de nos peurs

Haute résolution je nous souhaite D'ouvrir de créer 

 

D'inventer Nos chemins nos langues nos identités 

Je nous souhaite Tisser croiser 

 Nous mélanger à la chaleur du jour 

Avancer aimer au présent à l'envie

Réchauffer les villes les enfants les paysages

 

Avant de disparaître souhaitons nous

Laissons nous le temps d'apparaître

Révélons haute résolution 

Les angles plus vivants que morts

Faisons chambre d'échos

 

Laissons ouverts bras bouches chemins cœur 

Fenêtres arbres regards inventons 

Les possibles haute résolution

Soyons clairs

l'horizon



Katrine Dupérou











mercredi 1 janvier 2014

Parc Barbieux, Roubaix



Chaque matin, à me réveiller encore sous la voûte céleste, je sens que c’est pour moi la nouvelle année. 
C’est pourquoi je hais ces nouvel an à échéance fixe qui font de la vie et de l’esprit humain une entreprise commerciale avec ses entrées et sorties en bonne et due forme, son bilan et son budget pour l’exercice à venir. 

Ils font perdre le sens de la continuité de la vie et de l’esprit. 
On finit par croire sérieusement que d’une année à l’autre existe une solution de continuité et que commence une nouvelle histoire, on fait des résolutions et l’on regrette ses erreurs etc. etc.
 ... 

 Ainsi la  date devient un obstacle, un parapet qui empêche de voir que l’histoire continue de se dérouler avec la même ligne fondamentale et inchangée, sans arrêts brusques, comme lorsque au cinéma la pellicule se déchire et laisse place à un intervalle de lumière éblouissante.

Voilà pourquoi je déteste le nouvel an. 

Je veux que chaque matin soit pour moi une année nouvelle. Chaque jour je veux faire les comptes avec moi-même, et me renouveler chaque jour. 

Aucun jour prévu pour le repos. 

Les pauses je les choisis moi-même, quand je me sens ivre de vie intense et que je veux faire un plongeon dans l’animalité pour en retirer une vigueur nouvelle. 
Pas de ronds-de-cuir spirituels. Chaque heure de ma vie je la voudrais neuve, fût-ce en la rattachant à celles déjà parcourues. 


Antonio Gramsci