Le Vestiaire, Roubaix |
J’ai perdu ma mère au fond d’une tasse de thé. C’était un 28
décembre. Les enfants étaient couchés. Le plus petit dormait sans
doute. A l’abri des scuds de sa grand-mère. Lové entre son doudou singe
polychrome et les derniers échos de Duerme Negrito. Petite chanson pour
éloigner la peur. Catch the dream lullaby pendant que les enfants dorment. Ils étaient là-haut dans leurs chambres. J’avais laissé la lumière allumée
dans le couloir.
La nuit était restée en bas. Entre ma mère et moi.
J’ai noyé ma mère et ses chimères dans une tasse de tie kuan
yin. Pas vue pas prise. Déprise de son emprise. Je l’ai laissée voguer le nez
au-dessus de la fumée. Juste elle et moi. L’une en face de l’autre. Elle a
attendu décembre pour venir me donner son dernier baiser. Un mot empoisonné.
Juste
un goût de fer dans la bouche.
J’ai retrouvé ma mère autour d’une tasse de thé. C’était au
mois de janvier. Il paraît que déconstruire n’est pas détruire. Un à un je tire
sur les fils qui relient mes poignets. Un goût de fer remonte de la gorge jusqu’aux
marches du palais. Sur la langue le sang séché sur le fil tiré. Un bout de lin
bordeaux lie-de-vin. Comme celui avec
lequel mères et grands-mères indiennes tissent
des toiles magiques pour les enfants. Cerceaux d’osier tendons de chevreaux
lianes et cordages piquetés de fleurs séchées de perles ficelle coquillages
rubis soie grenat étoiles d’argent tombées du ciel pour filtrer les mauvais
rêves
jusqu’au lever du jour.
De mes doigts plus blancs que neige filer fuseau jour nuit
jusqu’à en oublier de dormir de manger de respirer. Compter juste un deux trois muñeca
jusqu’aux dix doigts du ciel repeint rouge opéra. Fermer ouvrir fermer les
yeux. Poupée de soi Katchina a perdu sa voix lactée dans une tasse de thé fumé.
Catch the dream lullaby. Les cauchemars
ont été recrachés
avec leur noyau.
Katrine Dupérou
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