samedi 1 février 2014


Le Vestiaire, Roubaix




J’ai perdu ma mère au fond d’une tasse de thé. C’était un 28 décembre. Les enfants étaient couchés. Le plus petit dormait sans doute. A l’abri des scuds de sa grand-mère. Lové entre son doudou singe polychrome et les derniers échos de Duerme Negrito. Petite chanson pour éloigner la peur. Catch the dream lullaby pendant que les enfants dorment. Ils étaient là-haut dans leurs chambres. J’avais laissé la lumière allumée dans le couloir. 
La nuit était restée en bas. Entre ma mère et moi.  




J’ai noyé ma mère et ses chimères dans une tasse de tie kuan yin. Pas vue pas prise. Déprise de son emprise. Je l’ai laissée voguer le nez au-dessus de la fumée. Juste elle et moi. L’une en face de l’autre. Elle a attendu décembre pour venir me donner son dernier baiser. Un mot empoisonné. 
Juste un goût de fer dans la bouche.




J’ai retrouvé ma mère autour d’une tasse de thé. C’était au mois de janvier. Il paraît que déconstruire n’est pas détruire. Un à un je tire sur les fils qui relient mes poignets. Un goût de fer remonte de la gorge jusqu’aux marches du palais. Sur la langue le sang séché sur le fil tiré. Un bout de lin bordeaux lie-de-vin.  Comme celui avec lequel  mères et grands-mères indiennes tissent des toiles magiques pour les enfants. Cerceaux d’osier tendons de chevreaux lianes et cordages piquetés de fleurs séchées de perles ficelle coquillages rubis soie grenat étoiles d’argent tombées du ciel pour filtrer les mauvais rêves 
jusqu’au lever du jour.




De mes doigts plus blancs que neige filer fuseau jour nuit jusqu’à en oublier de dormir de manger de respirer. Compter juste un deux trois muñeca jusqu’aux dix doigts du ciel repeint rouge opéra. Fermer ouvrir fermer les yeux. Poupée de soi Katchina a perdu sa voix lactée dans une tasse de thé fumé.  Catch the dream lullaby. Les cauchemars ont été recrachés 
avec leur noyau.



Katrine Dupérou

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