mardi 5 novembre 2013



« Je voudrais être égoutier. Dès ma plus tendre enfance, mon rêve était d’être égoutier ; en moi-même, il me semblait que ce métier était merveilleux ; je m’imaginais que l’on devait traverser toute la terre par des boyaux souterrains. En étant à la Bastille je pourrais aller au diable. Je pourrais reparaître en Chine, au Japon, chez les Arabes. J’irais encore voir les petits nains, les esprits, les lutins de la terre. Je me disais en moi-même que je ferais des voyages à travers la terre. Je m’imaginais encore que, dans ces égouts, il y avait des trésors enfouis, que j’irais faire des excursions, je creuserais la terre et un jour je reviendrais chez mes parents, chargé d’or et de pierres précieuses, je pourrais dire : Je suis riche, j’achèterai un magnifique château et des parcs.

Là, dans ces égouts, il y aurait des rencontres, un drame se déroulerait dont je serais le premier acteur : il y aurait un cachot où serait enfermée une jeune fille, j’entendrais ses plaintes et je volerais à son secours et la délivrerais des mains d’un vilain sorcier qui voulait l’épouser. Je me promènerais avec une lampe et un pic.

Enfin, pour vrai dire, je ne connaissais pas de métier plus grand et mieux que ça.
Mais lorsque je connus ce qu’était le métier d’égoutier, un travail dur, pénible et malsain, je compris que ce n’était pas un métier que je rêvais, mais alors d’un conte de Jules Verne ou encore un roman magnifique de jeunesse. 

En faisant cette découverte, je m’aperçus qu’un métier n’est pas des vacances, mais qu’il fallait travailler dur pour gagner son pain ; je résolus alors de choisir un autre métier. Celui de libraire me séduisit beaucoup. C’était épatant, je vendrais des livres aux écoliers et aux gens. Je ferais aussi un abonnement de livres et les personnes viendraient échanger leurs livres à la bibliothèque. Au début de l’année scolaire, les élèves m’achèteraient des livres, des trousses, des plumes, etc. De temps en temps ils viendraient chercher des bonbons. »


Gaston Bachelard, La Terre et les rêveries du repos. Essai sur les images de l’intimité, José Corti, Paris, 1948. Retranscription intégrale du devoir d’un écolier parisien de 12 ans qui lui avait été transmis par « M. Renauld, professeur au lycée Charlemagne ». Le sujet imposé était : « Que voudriez-vous être plus tard ? Et quelles en sont vos raisons ? »

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